FEMME - Le féminisme des années 1970 dans l’édition et la
littérature
On peut dater de l’année 1970 une transformation irréversible
du rapport des femmes à la littérature. Jusqu’alors l’opinion commune considérait les femmes artistes comme des exceptions. On s’intéressait
parfois aux «images de la femme» dans l’histoire des textes littéraires, mais on ignorait presque totalement la
pratique des femmes écrivains. Femme image ou reflet d’un désir masculin, voilà ce que le féminisme de la seconde moitié du XXesiècle aura violemment contesté, sous une forme ou sous une autre, au moment même où, dans un système économico-politique
qu’il faudrait qualifier plutôt à présent d’«antisexuel» que de «mâle», les médias, la publicité, l’organisation du travail et de la production mettent
plus que jamais peut-être en circulation l’objet d’échange et de commerce «femme». Si bien que l’on se trouve devant le paradoxe suivant: on ne peut parler correctement des textes féminins sans prendre pour point de départ le nouveau féminisme,
alors qu’il n’est pas sûr que ce dernier ne soit pas lui-même rapidement devenu l’objet d’un commerce particulièrement lucratif (réel ou
symbolique), notamment dans l’édition.
Vers 1970, le nouveau mouvement féministe, né principalement aux États-Unis (au Women’s Rights Movement
réformiste des années soixante succède en 1968 le Women’s Liberation
Movement, beaucoup plus radical), n’expose plus seulement, comme les
rassemblements précédents, des objectifs de lutte contre l’inégalité des sexes, mais s’efforce aussi d’affirmer et de représenter la «différence
féminine», différence, disent les féministes, de sexualité, de perception du corps, d’expérience
et de langage, si bien que la question culturelle se trouve d’emblée au centre du mouvement. Le
nouveau féminisme produit ses propres écrivains et ses propres artistes, dont l’art se définit en fonction d’un a priori féministe, comme Kate
Millett ou Adrienne Rich, aux États-Unis, Monique Wittig, Xavière Gauthier ou Hélène
Cixous, en France. Il affirme par ailleurs la nécessité de
réévaluer les pratiques féminines, traditionnellement mineures: journaux intimes, broderies, couture, cuisine, etc. Le mouvement réactualise enfin les grandes œuvres féminines et en
permet une relecture qui prenne en compte le point de vue spécifique d’après lequel elles ont été réalisées: c’est le cas, par exemple, de l’œuvre de Virginia Woolf, ou même, dans une certaine mesure, en France, de celle de
Gertrude Stein. Le «féminin» dans la culture n’apparaît ainsi plus seulement comme une fonction négative mais
aussi comme un élément dynamique, voire novateur.
1. L’édition féministe
Parmi les causes (entrée massive des femmes dans le monde
du travail, débats publics et lois nouvelles sur l’avortement, la contraception, l’égalité des droits civiques et sociaux, etc.) qui ont fait
de la question féminine un sujet d’actualité de grande ampleur, l’apparition d’une «édition féministe», consacrée exclusivement aux interventions des femmes, est loin d’être négligeable.
Cette édition féministe rend en effet possible un regroupement de textes féminins, crée un foisonnement extrêmement important et ressuscite
certaines œuvres (par exemple, des romans américains du XIXesiècle tels que The Awakening, de Kate Chopin, ou Ethan Frome, d’Edith Wharton; en Italie, Una donna, de Sibilla Alleramo, etc.). Elle a enfin incité les maisons d’édition traditionnelles
à ouvrir à leur tour des collections réservées aux femmes. Il en a résulté depuis 1974 environ une prolifération tout à fait extraordinaire de
textes écrits ou prononcés par des femmes, dans des domaines aussi différents que l’ethnologie ou la poésie, le témoignage ou le pamphlet, etc.
Issue du mouvement féministe, cette édition révèle la réussite des femmes à se faire entendre. Cela
commence aux États-Unis: aux innombrables pamphlets des premières années du Women’s Lib succèdent vers 1969
les journaux, remplacés ou secondés vers 1972 par les revues, les magazines, etc., puis pris en charge vers 1973 par les maisons d’édition, avec
les livres, dont la publication devient de plus en plus large. La présentation, la mise en pages, les contenus des journaux initiaux (It Ain’t
Me Babe, Of
Our Backs, Every Woman...) indiquaient déjà l’orientation principale des publications féministes futures:
plus que de littérature, ou même de journalisme, il s’agit de prises de parole et de témoignages.
En France, les options sont parfois différentes, ou même hostiles au féminisme américain. C’est ainsi
que les éditions Des femmes ont refusé le terme de «féminisme» comme sujet à des emplois suspects ou trop limités et ont créé, à partir du groupe
Psychanalyse et politique, ce qu’elles appellent le Mouvement des femmes. On retrouve néanmoins dans l’édition française les grands traits de
l’édition féministe américaine. Des titres comme Dire nos sexualités (Xavière
Gauthier), Parole de femme (Annie Leclerc), L cause
(titre d’une revue), La Ventriloque (Claude Pujade-Renaud), Les Mots pour le dire (Marie Cardinal), Les Parleuses (Xavière Gauthier et Marguerite Duras), Les Doigts du figuier, Parole (Jeanne Hyvrard), etc., indiquent assez comment, pour les femmes françaises aussi, la
première fonction de l’écriture est de permettre la communication, l’explosion d’une parole enfin libérée du silence ou d’un «bavardage» rendu à
ses droits. L’accent est mis sur les caractères «spontané», «direct», prosaïque, ordinaire de cette parole: les femmes écrivent pour parler, simplement, à la première personne, entre elles ou pour se faire entendre d’un
destinataire absent. Leurs écrits sont des confessions, proches en cela des journaux intimes qu’elles tenaient avant que n’existe une édition féministe
(et qui accèdent parfois eux-mêmes à la publication, tel ce recueil américain d’extraits de diaries of women édité par Mary Jane Moffat et Charlotte Painter). La répétition, de livre en livre, de témoignages et d’expériences
identiques, presque interchangeables, l’importance du facteur quantitatif, l’accent mis sur l’expérience quotidienne (dans le film de Chantal
Akerman, Jeanne Dielman, le spectateur assiste de bout en bout aux activités ménagères de Jeanne), la dominante
«gynécologique» (récits de grossesses, d’avortements, etc.) sontautant d’éléments qui contribuent à créer une sorte d’«effet
de foule», d’un genre très nouveau. L’édition féministe nous montre, en effet, ce que nous
n’avions jamais vu ; ces «couloirs obscurs de l’histoire» aurait dit Virginia Woolf, où une foule, constituée non plus d’hommes au travail
mais de femmes, s’occupe à traiter, dans l’anonymat, les problèmes individuels ou familiaux de la vie quotidienne. Il arrive que ces récits
consolident la tradition, comme L’histoire est un tricot, d’Annie Leclerc, mais ils parviennent aussi parfois, plus positivement, à interroger cette «identité
anonyme» des femmes à laquelle sont consacrées depuis longtemps les grandes œuvres féminines.
Certains de ces textes nés du nouveau féminisme présentent néanmoins le danger de la confusion de l’oral et de l’écrit, de l’usage non
critique d’une «langue de femme» (mais une telle langue est-elle possible?) et du recours, d’un narcissisme souvent naïf, à un «je» qui semble signifier une adéquation parfaite du sujet à lui-même.
2. Contre-culture
Les premiers livres publiés ont été pour la plupart, en
particulier aux États-Unis, des ouvrages théoriques, le mouvement féministe étant d’abord un rassemblement politique et idéologique. Qu’il
s’agisse de rééditions des grands classiques de l’analyse féministe (essentiellement, Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, The Feminine Mystique [La Femme mystifiée], de Betty Friedan, ou encore, sur un autre plan, L’Origine de la famille, de la
propriété privée et de l’État, de Engels) ou d’études nouvelles dont la réputation a grandi très vite (Sexual Politics [La
Politique du mâle], de Kate Millett; The Dialectic of Sex [La Dialectique du sexe], de Shulamith Firestone; The Female Eunuch [La Femme eunuque], de Germaine Greer; et aussi en Angleterre, Psychoanalysis and Feminism [Psychanalyse et féminisme],
de Juliet Mitchell; en Italie, Dalla Parte delle Bambine [Du côté des petites filles],
d’Elena Gianini Belotti, etc.), ou encore d’anthologies regroupant des interventions variées de femmes (par exemple, le recueil américain de
Robin Morgan, Sisterhood Is Powerful) et révélant par là, de manière tangible, l’existence du «mouvement» comme tel (cf.en France, des numéros spéciaux de revues republiés en livres comme Les femmes
s’entêtent ou des recueils de textes étrangers comme Écrits, Voix d’Italie),
ces textes doivent nous être présents à l’esprit, si nous voulons être en mesure de lire dans leur histoire les fictions féministes qu’ils ont précédées. Malgré des différences sensibles d’analyse ou d’option, ils
finissent tous par constituer une contre-culture.
La phrase célèbre écrite par Simone de Beauvoir dès 1949 dans Le Deuxième Sexe: «On ne naît pas femme, on le devient» indique sans doute le point central de toute théorie féministe. Le livre d’Elena Gianini
Belotti, Du côté des
petites filles, analysant les conditions répressives de l’éducation des filles, va dans le même
sens. De là découlent, schématiquement, deux tendances de l’analyse féministe: d’une part, celle qui accorde aux phénomènes socio-historiques la première place et
demande, comme le déclaraient en novembre 1977 les femmes de la revue Questions féministes, le droit pour les femmes aussi «au neutre [à la définition non sexuée], au général»; et, d’autre part, celle, dominante au moins sur le plan des publications, qui, tout en
tenant compte constamment de l’histoire de l’oppression des femmes, met en avant dans une thématique de la différence quelque chose qui serait
comme une «nature féminine». Mais dans tous les cas l’écriture féministe est amenée, de manière plus ou moins
principale, à mettre en lumière un aspect de la condition faite aux femmes, et à dénoncer les expériences négatives de viol, d’exclusion ou
d’oppression. Celles-ci ne constituent pas, néanmoins, le sujet unique de l’écriture, qui fait aussi écho à une attitude globalement et
explicitement théorique du féminisme comme critique et analyse du «patriarcat». De ce
point de vue, le livre de Valerie Solanas, S.C.U.M. Manifesto (Society for Cutting Up
Men, c’est-à-dire Société pour la castration des hommes), a
marqué en son temps (1968-1971), sous la forme du scandale, l’histoire du mouvement: l’auteur, qui était au même moment en prison pour avoir agressé l’artiste Andy
Warhol, proposait pour dénouement d’une fiction délirante où les femmes devenaient les «maîtres du monde» l’assassinat de tous les hommes. Dans la théorie, c’est le patriarcat comme entité
politique et idéologique qui est mis en question. Aux États-Unis toujours, des livres comme celui de Kate Millett (La Politique du mâle) s’attachent à décrire les modes de répression sexuelle et culturelle à l’égard
de la femme, tels qu’on peut les repérer dans la littérature «masculine», en analysant les principes d’un «pouvoir mâle». Les féministes américaines ont encore créé, dans la plupart des universités, des women’s studies, où sont étudiés les schémas littéraires dominants, ainsi que des revues de critique
littéraire et culturelle (telle la revue Signs à
Chicago). Si, enfin, l’essai-fiction de Virginia Woolf intitulé Trois Guinées (1938) a rencontré un succès tel qu’il a été traduit et publié à nouveau dans la
plupart des pays où existe une édition féministe, c’est parce qu’il met violemment en procès un ordre patriarcal qui conduit à la guerre et
au fascisme et interdit aux femmes les possibilités matérielles et symboliques d’accéder à la culture.
L’unité des différentes tendances du féminisme réside dans l’affirmation constante de ce point de
vue critique, c’est-à-dire différent. À cet égard, l’évolution du mouvement est à peu près partout identique. D’une manière générale,
on constate vers 1974 un déplacement des préoccupations sociopolitiques vers des objectifs plutôt culturels; c’est le cas très nettement en France, avec les éditions Des femmes. L’Italie, où
le féminisme demeure assez «violent», fait un peu exception. Dans tous les cas, le phénomène de mondialisation de l’édition féministe aboutit
à la constitution d’un nouveau champ culturel construit sur un principe de sororité (sisterhood, sorellanza, etc.) qui fait que tous les grands livres du féminisme, qu’il s’agisse d’essais ou
de fictions, sont traduits dans presque toutes les langues.
La revue belge Les Cahiers du G.R.I.F. présente dans un de ses numéros intitulé «Créer» un exposé assez clair de l’analyse féministe de la question culturelle. C’est la notion même de création qui s’y
trouve critiquée: «On peut se demander [...] si la hantise de la création [...] ne relève pas de la
conception propre de l’Occident industriel, qui consiste à définir l’homme par sa capacité de produire des objets.» Cette condamnation de l’objet –et donc notamment de l’«objet d’art» –est un élément fondamental des réalisations féministes, en particulier dans le domaine
de la littérature. Le mot même de littérature apparaît comme suspect, et on lui préfère celui d’écriture, qui met l’accent sur une pratique
et semble éloigner le danger fétichiste dénoncé dans la culture dominante. Les textes féministes rechercheront les caractères de l’«éphémère», du «non-art»: inachèvement, refus de la «phrase», et souvent de tout travail de formalisation esthétique, réévaluation de la
communication aux dépens du «langage poétique». Il s’appliqueront surtout à privilégier un rapport direct de l’écriture au
corps, comme on peut le voir par exemple dans Le Corps lesbien de Monique
Wittig: tout dans ce livre, la présentation, la mise en page, la typographie, semble fait pour
produire l’illusion d’une identité absolue du livre et du corps. Par analogie avec la notion de «négritude», Simone de Beauvoir avait posé celle de «féminitude» : elle voulait désigner par là un ensemble de qualités acquises dans l’oppression. C’est bien ainsi qu’il
faut envisager la contre-esthétique de l’écriture féministe, et c’est pourquoi on peut aussi parler à son propos de contre-culture. Ce
faisant, on prend également en compte un «sous-développement» tendanciel des textes féminins.
Bien que dans un «féminisme» de type américain et un «mouvement» de type français, les axes de l’élaboration théorique soient les mêmes (Marx et
Freud, repris et critiqués dans une pensée féministe), les analyses, et leurs conséquences sur les productions littéraires, sont assez
radicalement différentes. La tendance américaine impose en effet une théorie principalement négative (critique universitaire du patriarcat) et
privilégie les expériences de révolte et d’engagement. Les textes de fiction qui en résultent sont en majorité des poèmes, qui retranscrivent
directement un lyrisme oral de revendication ou d’amour (telle l’œuvre d’Adrienne
Rich) ou des romans de style classique rapportant des
situations d’oppression ou des relations sentimentales (par exemple, Sita, de Kate Millett). Dans l’ensemble, la langue proprement dite n’est pas remise en question, à la différence du mouvement des femmes
en France, pour lequel «le rapport au corps et aux images maternelles» reste principal, produisant une réévaluation non seulement des contenus du discours «phallocentriste», mais de la langue elle-même, dans le jeu de ses signifiants et de ses hiatus esthétiques
–s’il est vrai que «la fonction maternelle est liée au processus pré-œdipien et, par cela même, à la réalisation
esthétique» (Julia Kristeva). C’est dire que le mouvement français est solidaire de la culture
contre laquelle il pose une contre-culture qui serait de l’ordre du refoulé.
3. Héroïnes
«Ont-elles jamais existé, ces fabuleuses nations de jeunes filles, ces démons montés,
galopant dans tous les coins du monde en faisant gicler de tous côtés glace et sable doré?...» se demande Helen Diner dans Mothers and Amazons: The First Feminine History of Culture. Le féminisme tend en effet à inventer une histoire mythique des femmes, puisque, comme
le notait Virginia Woolf, «nous ne savons rien d’elles, excepté leur nom, la date de leur mariage, le nombre d’enfants qu’elles ont portés».
Sans parler des féministes célèbres de l’histoire (Mary Westmacott, Flora Tristan, Louise Michel, Alexandra
Kollontaï...) dont les écrits,
romanesques ou théoriques, sont réédités, toute femme dont le nom est demeuré, pour une raison ou pour une autre, dans notre culture, peut faire
figure d’héroïne: par exemple, Anna O, la «première hystérique» de Freud, symbole d’une parole différente, formulée non pas sur le mode d’un
discours, mais au lieu même du corps (par les symptômes); ou
encore, Lou Andréas-Salomé, inspiratrice des premiers psychanalystes et d’écrivains comme Nietszche ou Rilke, retirée quant à elle dans une expérience
de recherche de l’origine et de la différence des sexes vécue sur son propre corps; il y aurait encore Elizabeth Packard et Zelda Fitzgerald, empêchées toutes deux d’écrire,
malgré leur talent, par la vanité d’un homme, ou Colette et Anaïs Nin, figures d’une expérience littéraire typiquement féminine. On réédite
parfois les œuvres de ces héroïnes. On publie des biographies et des commentaires de leur vie ou de leurs écrits. On redécouvre des textes plus
ou moins «féministes» qu’elles ont pu écrire, comme ce recueil de textes d’Anaïs Nin intitulé Être
une femme. Les héroïnes du nouveau féminisme sont aussi des personnages romanesques conçus par
des femmes, telle la «Lol V.Stein» de Marguerite Duras, emblème de la féminité comme absence, oubli de soi, ou encore ce
personnage d’un roman très populaire de Sylvia Plath, The Bell Jar (La Cloche de détresse), que son auteur conduit à la découverte de son exploitation sexuelle et de son
oppression sociale et culturelle. Enfin, quelques grandes fictions féministes (Trois Guinées, Une chambre à soi, de Virginia Woolf, La Cloche de détresse, etc.) prennent fonction de textes sacrés. Car, et Virginia Woolf le montre exemplairement, il ne suffit pas à
une femme qui veut écrire de reconnaître dans sa mémoire un héritage spécifiquement féminin, maternel («Car nous, c’est à travers la pensée de nos mères que nous pensons, si nous sommes femmes...»), il lui faut encore inventer une généalogie nouvelle d’artistes femmes, une histoire culturelle féminine,
un précédent non plus seulement familial mais social.
Cette nécessité de revendiquer un héritage au moins double (sinon triple, puisque bien sûr il faudra
tenir compte aussi de l’intertexte culturel au sens large, représenté, par exemple, chez Virginia Woolf par la fascination pour la bibliothèque
paternelle) indique d’ailleurs une des articulations contradictoires de l’«écriture féminine». Celle-ci est en effet amenée, de manière explicite ou non, à mettre en scène un
rapport de rivalité entre une tendance «maternelle», tournée
vers le don, la dissolution d’identité, l’anonymat, la ritualité, et une tendance culturelle qui en est dans une certaine mesure l’antithèse.
Comme le dit encore Virginia Woolf, «il est significatif que, des quatre grandes romancières –Jane Austen, Emily Brontë, Charlotte Brontë, George Eliot–, aucune n’a eu d’enfants, et deux sont restées célibataires». La reconstruction d’une histoire des femmes par le nouveau féminisme est tributaire elle aussi de cette contradiction: d’un côté, les mères en général sont les héroïnes méconnues des temps passés,
les femmes dont il faut lever l’oppression ; mais, de l’autre, les héroïnes sont aussi Amazones (comme dans le livre de la féministe américaine Ti-Grace
Atkinson, Odyssée d’une Amazone) ou sorcières (voir le groupe américain Witch ou la revue française Sorcières), femmes stériles, homosexuelles ou frigides qui ont créé, dans le refus de la normativité sexuelle et dans la
folie, les éléments de leur propre histoire.