Les débats s'animent d'un coup autour du médicament.
Bruxelles ouvre une brèche dans l'interdiction. Les mutuelles s'alarment.
(Par Eric FAVEREAU, Libération - 30/04/2002)
Attention...
danger. Hier, à l'initiative de toutes les mutuelles mais aussi de plus d'une centaine d'organisations de malades ou de professionnels de la santé,
s'est tenue une conférence de presse pour s'inquiéter de la politique européenne du médicament, et en particulier d'une nouvelle directive qui
devrait être débattue, le mois prochain, au parlement européen. Une directive qui prévoit, entre autres, la possibilité de faire de la publicité
directe pour certains médicaments.
Sida. «Si cette directive est adoptée», tranche Jacques Mopin, vice-président de Que choisir, «alors
on sera comme aux Etats-Unis. On pourra voir des publicités à la télé qui immanquablement influenceront les patients et indirectement les
prescripteurs.» De fait, la proposition de la Commission autoriserait les fabricants à «publiciser» les produits utilisés dans le traitement du
sida, du diabète, de l'asthme, ainsi que d'autres maladies pulmonaires chroniques. Alors qu'aujourd'hui, à l'exception des Etats-Unis et de la
Nouvelle-Zélande, toute publicité pour des médicaments sous ordonnance est interdite dans des médias grand public. «Le processus est simple,
explique l'association britannique Health Action International, les fabricants devront élaborer des procédures d'autoréglementation au niveau
national et ensuite soumettre leurs publicités à une simple agence d'évaluation. Après ? La publicité pourra être diffusée telle quelle.»
Pour
la Commission, ces changements sont proposés afin «de répondre aux attentes exprimées par les groupes de patients». Réaction très négative des
associations : «Nous, on demande de l'information médicale, cela n'a rien à voir avec de la publicité», réagit Franck Rodenburg de l'association
TRT5 qui s'occupe des malades du sida. Les mutuelles mettent en avant un autre argument, celui-là beaucoup plus économique, en s'appuyant sur la
situation américaine : ainsi, aux Etats-Unis, en 2000, plus de 95 % des publicités pharmaceutiques destinées aux consommateurs ont été centrées
sur 50 médicaments seulement, et ce sont ces médicaments qui sont responsables d'une très large part de l'augmentation des dépenses de pharmacie :
en l'occurrence, 48 % du total. Enfin, tous les experts l'ont répété, la décision pour un laboratoire d'investir dans la publicité d'un produit
est une décision de marketing et non une décision relevant de la protection de santé publique.
Réévaluation. «Le médicament n'est pas un
produit de consommation banal», insiste le collectif Europe et Médicament. D'autres aspects de cette directive posent également problèmes : la réduction
de 210 à 150 jours du délai d'examen des dossiers de demande d'AMM (autorisation de mise sur le marché) ne permet pas de «garantir une expertise
de qualité». De même, est critiquée l'absence de réévaluation régulière des médicaments : tous les cinq ans serait un bon rythme, note le
collectif. Enfin, la directive reste limitée sur la pharmacovigilance, c'est-à-dire sur le suivi des effets secondaires quand le médicament est déjà
en circulation. «La pharmacovigilance est essentielle, aujourd'hui. Mais pour cela, elle ne doit pas être opaque», se plaignent les associations
qui demandent au final une forte révision du projet.
Le projet d'harmonisation européenne de la réglementation du médicament est disponible
sur http://europa.eu.int/eur-lex/fr/com/pdf/2001/fr-501PC0404-01.pdf
Lire
également: L'influence du lobby pharmaceutique
Toute une campagne est en marche visant à permettre aux sociétés pharmaceutiques de vanter leurs
pilules directement aux consommateurs. Et d'après un sondage Ipsos-Reid, commandé par leur lobby, la majorité de la population y est favorable,
pour peu qu'Ottawa donne sa bénédiction aux annonces.
Au Canada, il est interdit de faire la promotion des médicaments d'ordonnance auprès
du public. Mais comme cette publicité est permise aux États-Unis, les Canadiens en voient à longueur de journée à la télé américaine. Une
majorité pense même qu'elle est légale ici aussi. En réalité, seule la Nouvelle-Zélande autorise aussi cette publicité de masse. Mais les
multinationales du médicament comptent bien gagner d'autres marchés.
(Jean-Claude Leclerc, Professeur à l'Université de Montréal, Le devoir,
22 avril 2002)
http://www.transnationale.org/forums/sante__influence_profits/showmessage.asp?messageID=457
Dossier
complet sur l'industrie pharmaceutique:
En 2001, les entreprises pharmaceutiques ont dépensé plus de 3 milliards de $US en publicité directe
au consommateur, essentiellement sur le marché Etats-Unien (BBC News, 26 avril 2002)
"Les dépenses en marketing sont énormes":
(New England Journal of Medicine, June 22, 2000)
Pour Pfizer par exemple, les dépenses administratives et en marketing s'élève à 39,2% du
chiffre d'affaires en 1999, un chiffre comparable est observé pour Pharmacia (rapport annuel).
La fusion de Glaxo-Wellcome et
Smithkline-Beecham a créé le premier laboratoire mondial. L'atout du nouveau groupe: »une force de vente de 40 000 personnes« - sur un total de
105 000 ! Aux seuls Etats-Unis, 7 600 visiteurs médicaux transforment les médecins en »prescripteurs«. (Le Monde, 18 janvier 2000)
L'ensemble
des dépenses en R&D et en marketing est déductible des impôts. Le taux d'imposition sur les bénéfices de l'industrie pharmaceutique américaine
a été de 16,3% entre 1993 et 1996, alors que les autres industries étaient imposées à 27,3% en moyenne. (Boston Globe. December 26, 1999)
L'industrie
pharmaceutique a dépensé 235,7 millions de dollars entre 1997 et 1999 en lobbying du sénat américain et du gouvernement. Ces dons ont été destinés
en majorité aux représentant républicains. (Public Citizen, "Addicting Congress: Drug Companies' Campaign Cash & Lobbying Expenses, July
6, 2000)
Les 15 laboratoires pharmaceutiques américains les plus importants dépensent ensemble près de trois fois plus en marketing et frais
administratifs qu'en recherche-développement. Rapports annuels à l'appui, ils démontrent qu'en 1998, les 15 firmes pharmaceutiques les plus
importantes ont dépensé au total 68,4 milliards en marketing et frais administratifs, et consacré seulement 24,4 milliards à la recherche-développement.
(EATN Dec1999-Jan2000)
Les entreprises pharmaceutiques dépensent [en France] chaque année 12 milliards de francs au titre de la promotion des
médicaments auprès des prescripteurs. Cette action massive de promotion qui s'appuie notamment sur le réseau de 15 000 visiteurs médicaux n'est
pas sans lien avec le niveau élevé des dépenses de médicaments en France. (Commission rapport Evin 1999)
http://www.transnationale.org/dossiers/sante/influence_profits.htm
Dossier
complet sur la publicité et le marketing:
http://www.transnationale.org/dossiers/information/publicite.htm
Dossier
complet sur les institutions européennes:
http://www.transnationale.org/dossiers/information/publicite.htm
L'actualité
thématique:
http://www.transnationale.org/forums/sante__influence_profits/main.asp
Action:
Consommez
des médicaments génériques. La liste (créé par Sciences et Avenir en 1999) est disponible à cette adresse:
http://www.transnationale.org/sources/sante/guidemedic/index.htm
Comparaison
des fabricants de médicament:
http://www.transnationale.org/conso/medicament.htm
Les
entreprises pharmaceutiques sont détaillées sur http://www.transnationale.org
L'observatoire des
transnationales
B.P. 96
13693 Martigues
FRANCE
http://www.transnationale.org
Toute une campagne est en marche visant à permettre aux sociétés
pharmaceutiques de vanter leurs pilules directement aux consommateurs. Et d'après
un sondage Ipsos-Reid, commandé par leur lobby, la majorité de la population y
est favorable, pour peu qu'Ottawa donne sa bénédiction aux annonces.
Au Canada, il est interdit de faire la promotion des médicaments d'ordonnance
auprès du public. Mais comme cette publicité est permise aux États-Unis, les
Canadiens en voient à longueur de journée à la télé américaine. Une
majorité pense même qu'elle est légale ici aussi. En réalité, seule la
Nouvelle-Zélande autorise aussi cette publicité de masse. Mais les
multinationales du médicament comptent bien gagner d'autres marchés.
Au Canada, elles se sont associées avec des médias et des agences de publicité
pour faire plier le gouvernement. Ce lobby se présente comme un groupe visant
à permettre aux citoyens d'avoir accès à l'information médicale. À
l'entendre, on aurait trouvé le moyen de réduire les listes d'attente, de
suppléer au peu d'information donnée par les médecins, et à rendre les gens
davantage responsables de leur santé. De quoi sauver le système!
Aux États-Unis, cette publicité a été autorisée en 1997. En 1999, ce budget
était de 1,8 milliard de dollars. Il a grimpé à 2,5 milliards en 2000. À
elle seule, Merck a dépensé pour Vioxx, un produit pour l'arthrite, plus que
Pepsi ou Budweiser, d'après le U. S. National Institute for Health Care
Management. Bien sûr, la loi impose d'indiquer les effets secondaires des médicaments.
Mais cela ne freine pas les consommateurs, à en juger par la hausse des ventes.
Les médecins américains sentent le danger. Eux-mêmes étaient déjà courtisés
par les pharmaceutiques qui leur offrent des échantillons gratuits et des
sessions de luxe sur les bienfaits de leurs produits. Voilà que maints patients
exigent ce nouveau remède qu'ils ont vu à la télé, et plus d'un médecin cède
tout en sachant que le produit est inutile ou même nocif. Pire, on invite les
gens à l'acheter par Internet où un «docteur de compagnie» tient lieu de médecin
traitant.
Or, la tendance à l'automédication est déjà problématique. Trop de gens
s'empiffrent de pilules et d'autres produits sans égard aux effets ou aux
combinaisons dangereuses. La prochaine étape sera-t-elle la suppression du médecin
et du pharmacien comme spécialistes du médicament? C'est déjà fait pour les
médicaments sans ordonnance. Quelle calamité sociale va se répandre dans une
population inculte à cet égard?
La publicité incite à acheter. Un des médicaments vantés à la télé américaine
promet de guérir la calvitie. D'après une étude publiée par le British
Medical Journal, l'année durant laquelle on en a fait la publicité, les
visites chez le médecin pour cette «maladie» ont augmenté de 79 %. L'auteur
note le saut qualitatif dans les messages. Il y avait une pilule pour chaque
maladie, désormais on aura une maladie pour chaque pilule!
Dans la même revue, l'industrie se défend. Pourquoi les consommateurs
n'auraient-ils pas droit d'obtenir toutes les informations nécessaires pour
faire des choix en connaissance de cause? Et pourquoi ce traitement injuste pour
l'industrie du médicament, alors que toutes sortes d'organisations sont libres
de diffuser de l'information, même de qualité douteuse? Visiblement,
l'industrie de la pilule songe à imiter celle du tabac et à défendre «le
droit du public à l'information».
Sauf que le public n'a pas accès à toute l'information, surtout pour les
produits nouveaux, dont les effets réels ne seront souvent connus que des années
plus tard.
Conflit d'intérêts
La médecine est déjà trop portée à prescrire des médicaments pour à peu
près tous les maux. Si certains remèdes soulagent les symptômes, peu vont au
coeur du problème et guérissent la maladie. Prévention, alimentation équilibrée,
environnement sain, équilibre psychique, thérapies diverses importent au moins
autant qu'un apport pharmaceutique. La voie qu'on propose n'a rien d'un choix.
Au reste, tous les malades ne sont pas également «intéressants». Aux États-Unis,
l'industrie pharmaceutique vise les plus vastes marchés possibles. Les maladies
chroniques qui touchent un grand nombre de gens et sont susceptibles d'en faire
des consommateurs fidèles, sont mises en vedette dans la publicité. En tête
du palmarès, on trouve des anti-inflammatoires pour l'arthrite, des
antihistaminiques pour les allergies et, bien sûr, des antidépresseurs.
L'industrie se trouve dans un conflit d'intérêts patent, estiment ses
critiques. Si elle avait à coeur de contribuer à la santé publique et au
soulagement des malades, la voie à suivre serait toute tracée. Elle n'aurait
qu'à soutenir financièrement la formation du personnel et l'éducation
scientifique du grand public. Mais il s'agit pour elle de faire avant tout de
l'argent, disent les observateurs, et de se prémunir contre une concurrence
accrue.
Déjà cette publicité de masse gonfle le prix des médicaments. Non seulement
les pilules coûtent plus cher, mais plus de gens en demandent. L'effet sur les
coûts de la santé est déjà important, et au rythme des augmentations, il
sera catastrophique. Aussi, les associations de médecins et de pharmaciens
s'inquiètent de cette transformation du système de soins et s'opposent à
toute libéralisation. (Aux États-Unis, des assureurs de même que plusieurs
entreprises craignent une telle évolution, car les régimes d'assurance médicament
risquent d'écraser sous le poids.)
Le ministère fédéral de la Santé, après que le Parlement eut interdit la
publicité des médicaments d'ordonnance, a entrouvert la porte. On peut parler
d'une maladie à condition de ne pas mentionner un remède, et on peut annoncer
un remède si on ne précise pas à quelle maladie on le destine. D'où l'astuce
des doubles messages publicitaires qui ont fait leur apparition. D'un côté, on
se porte au secours de monsieur et de sa dysfonction érectile, par exemple; de
l'autre, on montre son voisin bondissant d'enthousiasme grâce au viagra.
Le ministère prétend ne pas vouloir élargir la loi. Mais on la met déjà en
échec. Sous l'influence des États-Unis, la brèche pourrait s'agrandir. Pour
les médias d'ici, pareille manne pourrait valoir jusqu'à 400 millions. Qui va
y contester l'exploitation de la maladie et de l'ignorance? En tout cas, tous
n'ont pas de la santé publique la même conscience que le Globe and Mail, qui
suit de près ce dossier. Et à ce jour le monde de la santé n'a pas fait
savoir clairement s'il veut ou non du free for all à l'américaine.
À la lumière de l'expérience, force est de conclure que cette publicité
devrait généralement être interdite. La population est déjà compulsivement
dépendante d'une série de produits dangereux. Faut-il faire en plus la
promotion d'une autre consommation, plus insidieuse peut-être? Si un médicament
répond à un grave enjeu social ou à quelque urgence nationale, le
gouvernement lui-même devrait normalement en faire lui-même la promotion.
Autrement, on assistera à une autre exploitation effrénée d'une population à
cet égard vulnérable, et à une grave démission des pouvoirs publics censés
la protéger. Nos motards millionnaires ne vendent-ils pas des drogues que les
gens sont «libres d'acheter ou non»?
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
(Le Devoir, Montréal, 22 avril 2002)
Dossier complet sur l'influence des laboratoires pharmaceutiques sur les
politiques de santé publique:
http://www.transnationale.org/dossiers/sante/influence_profits.htm
Actualités:
L'offensive du secteur de la santé: les labos mènent campagne,
Les labos paniquent face aux génériques...
http://www.transnationale.org/forums/sante__influence_profits/main.asp
Profil des entreprises citées:
Ipsos
http://www.transnationale.org/fiches/1714109950.htm
Merck and Co.
http://www.transnationale.org/fiches/69.htm
Pepsi Co.
http://www.transnationale.org/fiches/2.htm
Budweiser
http://www.transnationale.org/fiches/-1151848000.htm
Globe & Mail:
http://www.transnationale.org/fiches/-1580086699.htm
L'observatoire des transnationales
B.P. 96
13693 Martigues
FRANCE
http://www.transnationale.org