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Le Courrier de la Marche Mondiale des Femmes contre les Violences et la Pauvreté N°109

Daté du 27 juin 2008

Bonjour, voici quelques textes, rendez-vous et communiques concernant les droits des femmes, en espérant qu'ils vous seront utiles. Ceci est un bulletin de collecte d'informations, ce qui veut dire que nous ne sommes pas obligatoirement d accord avec tout ce qui est écrit (sauf pour les communiqués signes Marche mondiale des Femmes).

Faites passer a vos réseaux et ami-es. Amicalement.

Coordination Française Marche mondiale des femmes 25/27 rue des Envierges, 75020 Paris, tel 01 44 62 12 04 ; 06 80 63 95 25, Site : www. marchemondiale.org


MOBILISATIONS
  • 1 - La Gay Pride
  • 2 - Viols : justice rendue 14 plus tard
  • 3 - Un sénateur-maire condamné pour violences sexuelles !
  • 4 - Tribunal de Lille : suite et fin provisoire - article dans Le Parisien

TEXTES

  • 5 - Vents mauvais pour la mixité - Mix CIté
  • 6 - Le corps des femmes, lieu commun - Chahla Chafiq
  • 7 - " La démocratie n est pas une donnée immuable et acquise  a jamais - Chahla Chafiq

MOBILISATIONS
 

Ce samedi a 14h, de Denfert-Rochereau a Bastille
C EST LA GAY PRIDE !

 

1 - La Marche Mondiale des Femmes Paris/ Île-de-France manifestera avec la Coordination Lesbienne en France
Leur message : "Jocelyne Fildard, porte-parole de la CLF prendra la parole a 13h30 sur le podium place Denfert. La CLF sera en troisième position, juste derrière le char de l inter LGBT. Si vous avez un parapluie Violet ou Jaune, bienvenue. Nous les utiliserons comme emblème lesbien (jaune et violet : les couleurs  des lesbiennes) en plus de notre bannière et aussi comme pare  soleil (très utile).

 

2 - Viols : justice rendue 14 plus tard
La cour d Assises de Paris, le jeudi 19 juin 2008, dans son arrêt en appel a condamné Michel Quesne  a 12 ans de réclusion criminelle pour viols par ascendant sur sa fille mineure puis majeure. Dans cette procédure, la Fédération Régionale du M.F.P.F des Pays de Loire s était constituée partie-civile. Il aura fallu 14 années pour qu  a la suite de sa plainte, justice soit rendue  a Alice Collet. Le condamné a en effet usé et abusé de tous les recours au niveau national et européen
La longueur de cette procédure illustre les obstacles rencontrés par les victimes pour faire valoir leurs droits dans une société qui ne condamne les violeurs incestueux que depuis peu.
Nous, associations féministes, qui avons rendu visibles les violences faites aux femmes ;
Nous qui avons soutenu et accompagné Alice Collet tout au long de cette épreuve, savons combien elle nécessite de courage et de ténacité.
Le combat d Alice constitue un encouragement pour toutes les victimes qui n ont pas encore trouvé le soutien nécessaire pour prendre la parole et dénoncer les auteurs de ces crimes.
Paris, le 19 juin 2008, CNDF, CFCV, MFPF


3 - Un sénateur-maire condamné pour violences sexuelles ! 
Communiqué Femmes Solidaires
Jeudi 26 juin 2008, le Tribunal correctionnel de Paris condamne Jacques Mahéas, sénateur-maire de Neuilly sur Marne  a 4 mois de prison avec sursis et 35 000 euros de dommages et intérêt, pour avoir commis des agressions sexuelles sur une employée de la mairie.
Employée de mairie depuis 1976, Madame S. ne pensait pas qu un jour elle serait confrontée  a une telle situation. Lors du procès, elle témoigne " Cela a commencé en 2000,  a la fermeture des bureaux lorsque
j étais seule, par des allusions sur mes relations personnelles, ses gestes sont devenus de plus en plus déplacés, les attouchements sur le corps se sont multipliés, des baisers volés. Au quotidien, je me rendais au travail en ayant peur de le rencontrer. J étais humiliée et terrorisée. Il savait que je vivais seule avec mes enfants, mon travail, mon logement, dépendaient de lui ". Le 11 octobre 2004, elle dépose plainte pour agressions sexuelles. " Il fallait que cela cesse et qu il ne se permette plus jamais d atteindre d autres femmes ". Elle déclare avec courage en conclusion, au tribunal " il n est pas dans un magasin, je ne suis pas un objet ".

C est avec cynisme que l agresseur a tenté de se disculper sans succès " j ai avec mes salariées des relations cordiales, je leur dis au revoir de facon sympathique ". Le tribunal l a finalement reconnu coupable. Femmes solidaires, porte-voix des femmes s élevant contre ces pratiques violentes, s est portée partie civile car ces procès encouragent les victimes  a dénoncer leur situation. L association estime que la justice est rendue lorsque sont condamnés les auteurs de violences sexuelles au travail, qui sont encore trop souvent des sujets tabous.
Elle déplore cependant que l agresseur, sénateur maire, puisse continuer d exercer ses fonctions notamment au Sénat, lieu d examen et de vote des lois, étant lui même reconnu coupable de les avoir transgressées.
" Nous sommes satisfaites du verdict, et ce  a deux titre. Nous sommes heureuses, tout d abord pour Madame S, car cette condamnation la rétabli dans sa dignité. Les agressions sexuelles restent des blessures  a vif qui rongent les victimes et la reconstruction ne peut se faire qu après une juste condamnation de l agresseur. Enfin cette victoire est celle de toutes les femmes qui veulent construire une société non sexiste et non violente. " a déclaré Sabine Salmon, Présidente nationale de Femmes solidaires  a l annonce du verdict.
Paris, le 26 juin 2008, Femmes solidaires

 

4 - Tribunal de Lille : suite et fin provisoire - article dans Le Parisien
L annulation de mariage n est plus inscrite  a l état civil : Le Parisien, jeudi 19 juin 2008
Cette décision ne concerne pas le fond du dossier,  a savoir l annulation du mariage décidée par le tribunal de grande instance de Lille, mais empêche simplement que cette dernière soit inscrite  a l état civil et que les deux parties puissent se remarier.
L appel du parquet concernant l annulation sera examiné au fond par la cour le 22 septembre.

TEXTES
 

5 - Vents mauvais pour la mixité - Le Monde 20 juin
L annulation d un mariage au motif que l épouse a tu  a son futur mari la perte de sa virginité a suscité un tollé dans la classe politique alors que l adoption d un projet de loi  a la même période énonçant dans l un de ses articles la possibilité d organiser des cours séparés pour les filles et les garçons n a indigné presque personne. Dans le premier cas, le jugement du tribunal de grande instance de Lille portait sur la liberté sexuelle des femmes et la menaçait en reconnaissant la virginité comme une "qualité essentielle de la personne". Dans le second cas, l article 2 alinéa 4 de la loi adoptée le 15 mai 2008 permettant d organiser des "enseignements par regroupement en fonction de leur sexe" portait sur la mixité et la menaçait en reconnaissant la possibilité d instituer des cours non mixtes. Comment interpréter que dans ces deux affaires, l une scandalise l opinion politique et l autre pas ? Comment expliquer que le personnel politique brandisse la cause des droits des femmes d une main et vote de l autre dans un silence assourdissant la possibilité de la séparation sexuelle des enseignements ? Pour quelles raisons le gouvernement a-t-il réclamé le maintien de cet alinéa alors que des parlementaires de gauche comme de droite demandaient sa suppression ? Certainement parce qu une authentique mixité scolaire a rarement été une priorité des gouvernements.

Une brève histoire de l introduction de la mixité peut en témoigner. Malgré l hostilité des partisans de l interdiction des savoirs aux femmes, l idée d une instruction pour les filles commence  a faire son chemin au XIXe siècle. Néanmoins cette dernière doit rester limitée et inférieure  a celle des garçons. C est dans cette perspective que Camille Sée introduit légalement l institution de l enseignement secondaire des filles : "Il ne s agit pas, dit-il, de préparer les jeunes filles  a être savantes. Les lycées et les collèges des jeunes filles ont été fondés pour faire de bonnes épouses et de bonnes mères, de bonnes maitresses de maison, sachant  a la fois plaire  a leur mari, instruire leurs enfants, gouverner leur maison avec économie et répandre autour d elles les bons sentiments et le bien être." Ce n est qu en 1924 qu a lieu l unification des programmes scolaires du secondaire. Les baccalauréats féminins et masculins deviennent identiques et équivalents. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la croissance des "Trentes glorieuses" et la tertiarisation de l emploi en France exigent un développement massif de l enseignement. Pour faire face  a la massification du secondaire, l effort budgétaire est considérable pour créer des nouveaux établissements. On construit un collège d enseignement secondaire par jour au milieu des années 60. L effort de rationalisation des coûts de construction l est tout autant. L urgence de construire un seul collège qui accueillerait filles et garcons au lieu de deux non mixtes a ainsi commandé l introduction de la mixité scolaire en 1965, rendue obligatoire par la loi dite Haby en 1975. L idée qu il y aurait une volonté politique d éduquer les filles et les garcons ensemble dans un souci d égalité constitue donc une illusion rétrospective.


Si nous dressons un bilan de cette mixité  a l école trente ans après son introduction, qu observe-t-on ? Existe-t-il une véritable égalité scolaire entre les filles et les garcons ? En 2005, dans les formations professionnelles, lorsque les filles s investissent pour un dixième d entre elles dans les domaines de la production et  a hauteur de 1 % dans les spécialités de la mécanique-électricité-électronique, les garcons eux, s investissent pour un tiers d entre eux dans le domaine des services et  a hauteur de 1 % dans les spécialités sanitaires et sociales. En ajoutant l alinéa autorisant les enseignements séparés, les parlementaires songeaient-ils  a légitimer par le droit ces classes non mixtes dans les faits ? Le cycle long général n est pas en reste. La division sexuelle des filières y est également très marquée. Les sections littéraires sont fuies par les garçons quand les sections scientifiques et techniques qui offrent plus de débouchés sont toujours le choix favori des garçons. Cette division se perpétue dans le supérieur, ou les filles, pourtant présentes  a 46,2 % en terminale S, ne représentent que 25,7 % des effectifs des écoles d ingénieur (16 %  a Polytechnique) mais 71 % des cursus littéraires.

Pourtant, dans les années 80, le ministre de l Education attendait de ses réformes "une transformation significative des habitudes d orientation des filles, une plus grande égalité pour elles devant les choix professionnels". C était l époque ou le ministère des Droits de "la" femme lancait le slogan : "Les métiers n ont pas de sexe, orientons-nous toutes directions." Malgré ces tentatives, la situation est restée quasi inchangée. Les interdits d accès  a certains savoirs autrefois de droit se sont perpétués dans les faits. Il ne manquait plus qu un fondement juridique pour justifier cette séparation sexuelle des enseignements. Comble du paradoxe, c est dans le cadre d une loi pour la lutte contre les discriminations, la France devant faire bonne figure avant de prendre la présidence de l UE, qu a été adopté l alinéa qui vient donner une légitimation  a la non-mixité. Dans l affaire dite du "foulard islamique" comme dans la demande d appel du jugement de Lille, on ne cesse de s étonner devant la promptitude de la classe politique  a se déclarer championne de l émancipation féminine. Pourquoi d un coté les élites politiques s empressent-elles de légiférer pour émanciper quelques jeunes musulmanes des conceptions conjugales ou religieuses archaïques et d un autre coté, s appliquent-elles  a verrouiller le sexisme du système éducatif français ? La désignation du scandale sexiste chez l autre surtout s il a le visage de l ex-colonisé n est-il pas un artifice commode pour occulter la ségrégation sexiste qui existe dans notre société et notamment  a l école ? Comme l a bien démontré Juliette Rennes dans le Mérite et la nature, une large part du mouvement politique d émancipation des femmes s est appuyée sur l appropriation des savoirs, notamment en revendiquant l accès aux métiers et aux professions interdites.

Nous réaffirmons notre attachement  a la mixité scolaire et au principe d égalité des sexes. Aussi réclamons-nous une politique scolaire qui agirait réellement en faveur de l égalité filles-garcons, autrement que par la production de circulaires ou la signature de conventions jamais suivies d effets. Des actions doivent être entreprises pour faire évoluer le sexisme du système éducatif : application de la "Convention pour la promotion de l égalité des chances entre les filles et les garcons" du 25 février 2000, prise en considération de la place des femmes dans les programmes, sensibilisation du personnel éducatif  a la lutte contre les préjugés sexistes, changer l image des disciplines fortement sexuéesŠ Les propositions ne manquent pas. Ce qui fait cruellement défaut, ce sont les actes.

 

6 - Le corps des femmes, lieu commun - Chahla Chafiq - Libération 6 juin 2008
C était aux alentours de 1968, dans une petite ville du nord de l Iran ou mon père exercait son métier de gynécologue. Sa clinique était aussi notre maison. A 14 ans, je regardais avec fascination les scènes qui se déroulaient en France : les jeunes dans la rue, les cris de liberté, les baisers et les étreintes au vu de tous. Ma tête n était pleine que d interrogations sur le monde et sur moi-même, que je découvrais dans ces moments de métamorphose corporelle. Confuse, je cherchais dans mon entourage les réponses  a mes questions.

Je gardais les yeux grands ouverts sur tout ce qui se passait dans la clinique : l a ou les femmes accouchaient, avortaient, étaient amenées de force le soir de leur mariage quand le drap n était pas taché de sang. Il m arrivait de sauter de mon lit  a 3 heures du matin, poussée par des cris de bagarre. Je descendais les escaliers pour regarder la scène, toujours identique ou presque : des hommes et des femmes qui hurlaient et une jeune femme qui tremblait et pleurait. Les familles des mariés se disputaient l innocence de la mariée et demandaient au gynécologue de décider. Je me souviens de la voix coléreuse de mon père et ses mots que j avais fini par connaitre par cour : " N avez-vous pas honte de votre barbarie ? Je suis le médecin. Je parle au nom de la science, et vous dis qu une partie des femmes pourtant vierges ne saignera jamais, et qu une femme peut déchirer son hymen par accident. Que cherchez-vous  a prouver ? Honte  a vous ! " Je me souviens du visage confus des familles et des larmes de la jeune femme. La scène se terminait souvent par une discussion privée entre mon père et les mariés. Je me souviens du regard que mon père me lancait quand il terminait : " Tu vois, ma fille, être une femme dans ce pays, ce n est pas une mince affaire "
Longtemps après, j ai gardé en mémoire l expression des visages gonflés de larmes de ces jeunes femmes qui les faisait se ressembler, comme si elles n étaient toutes qu un seul corps, humilié, écrasé, tremblant. Bien longtemps après, j ai compris que toutes ces scènes avaient justement pour cause que le corps des femmes, dans le système patriarcal, perd toute sa singularité pour ne devenir que le lieu commun de l honneur du groupe.
Exilée en France, des décennies après 1968 et l épanouissement ultérieur des mouvements de femmes qui marqua des avancées dans leur libération, j ai retrouvé ici,  a travers mon travail dans le champ de l immigration, les mêmes faits déchirant les familles et écrasant les femmes.
L affaire de Lille qui éclate aujourd hui n en est qu un exemple. Elle a le mérite de nous interpeller sur une réalité dont l ampleur dépasse un fait isolé. Le jugement annulant un mariage  a la demande d un époux, pour cause de la non-virginité de son épouse, pose la question incontournable de la profonde contradiction entre les valeurs démocratiques et les normes patriarcales systématiquement reproduites et valorisées par le recours au "culturel" et au "cultuel".
Le "mensonge" de la jeune femme sur sa "virginité", cause de la décision de justice en faveur de l époux, témoigne en fait de la déchirante réalité vécue par un nombre important de femmes face  a une modernité mutilée, c est- a-dire l acception de la modernisation sans l intégration des valeurs modernes de l égalité, de la liberté et de l autonomie individuelle. Aussi, dans nombre de pays, en l absence des valeurs démocratiques et donc du défaut d apprentissage des normes et valeurs de l autonomie, le
processus de la modernisation, tout en changeant la condition des femmes, notamment par leur accès  a la scolarisation et au travail rémunéré, n implique pas pour autant la disparition de normes telles que l obligation de la préservation de la virginité avant le mariage. Cette norme renvoie  a la volonté de controler le corps et la sexualité des femmes dans le but de préserver le pouvoir patriarcal. Aussi, dans un contexte de modernité mutilée, les femmes, tout en accédant  a un certain degré d autonomie, restent néanmoins prisonnières des stratégies identitaires patriarcales qui persistent et se renouvellent. Ces dernières font du controle du corps des femmes le pivot de la "dignité" des hommes, des familles et de la communauté. La virginité des femmes devient ainsi le lieu de l "honneur" de la famille et des membres du groupe familial et communautaire. Depuis des années, les acteurs de terrain connaissent ces drames. Le développement des mouvements politico religieux contribue  a la reproduction de ces situations. La diabolisation de la libération des femmes comme cause de la perversion sociale est un thème central de ce type de propagande, qui se développe avec succès l a ou règnent l exclusion sociale et la misère sexuelle.

Les femmes se trouvent ainsi au centre des conflits socioculturels et politiques qui posent en dernier lieu la question de la démocratie. En France, ces faits nous interpellent sur les modalités du développement d une réelle égalité entre les hommes et les femmes, indissociables des réflexions sur l approfondissement des valeurs démocratiques. Cette réflexion amène  a la nécessité d interroger les dispositifs juridiques par rapport  a l égalité des sexes. En même temps, elle pose de manière urgente la nécessité d un travail quotidien sur les situations complexes qui impliquent les individus et les familles.
Isabelle Cabat-Houssais professeure des écoles, Maria Candea enseignante-chercheuse, Cécile Dumazeau enseignante-chercheuse, Thomas Lancelot-Viannais conseiller principal d éducation, et Guy Stoll parent d élèves, tous militants de l association Mix-Cité Paris

 

7 - " La démocratie n est pas une donnée immuable et acquise  a jamais " L Humanité du 9 juin 2008 - Chalah Beski-Chafiq

Vous estimez que l ampleur des atteintes aux droits des femmes dépasse largement l affaire du mariage annulé pour cause de non-virginité de l’épouse. Pouvez-vous expliciter ?
Chahla Beski-Chafiq. Mes actions et observations dans le champ de l immigration m ont conduite  a constater la somme de douleurs et de désarroi des femmes dites " issues des immigrations " face au sexisme. En effet, elles partagent avec toutes les femmes les conséquences des discriminations et des violences liées au sexe, mais elles vivent un cumul de ces dernières, d une part du fait du racisme, d autre part en raison de la justification des oppressions par le recours au culturel et au cultuel. L a ou la ghettoisation se développe, l a ou les communautaristes gagnent, l a ou les idéologies politico-religieuses avancent, ce type de discrimination et de violence se renforce. Les exemples en sont multiples. Les menaces sur le droit  a l’avortement pèsent toujours. Les femmes sont les premières victimes des mariages forcés, même si des hommes sont aussi concernés. L excision et la polygamie ciblent les femmes, et la " loi de l honneur " fait de leur corps le lieu du controle du groupe et de la " communauté ", au détriment de leur liberté et de leur autonomie. Cette loi se traduit par des réalités aussi violentes que le controle quotidien des gestes des filles et des femmes dans divers milieux. Hier encore, un animateur me rapportait que, lorsqu il parle avec une jeune femme, le portable de celle-ci sonne quelques minutes après : un proche l’appelle pour lui demander ce qu elle fait avec lui. De même, les acteurs partagent le constat de l absence des jeunes filles dans les espaces socioculturels, également en raison de la restriction de leur liberté. La cause en revient aux peurs et inquiétudes autour de cette " valeur " de la virginité par ailleurs affirmée  a travers le jugement du tribunal de Lille comme une qualité essentielle de l épouse. Paradoxalement, la loi de la chasteté pour les filles va de pair avec la dominance d une image des femmes comme objets sexuels, qui confond la libération des femmes avec la prostitution et la pornographie. Ici, les cultures pornographiques et les approches des extrémistes religieux  a l oeuvre dans notre société se rencontrent et se renforcent. Il ne s agit donc pas d un conflit entre des cultures confrontant les Francais aux immigrés, mais d un conflit entre les valeurs de la liberté et de l égalité, et les normes sexistes propagées aussi bien par les cultures patriarcales antidémocratiques que les cultures de la marchandisation du sexe.

Comment expliquez-vous qu un tribunal, en France laique, puisse prononcer un tel jugement ?
Chahla Beski-Chafiq. En dépit des avancées des droits des femmes, nous avons besoin, ne serait-ce que pour les rendre effectives, de questionner sans cesse nos pratiques et nos approches sous l angle de l égalité entre les femmes et les hommes et de l autonomie individuelle. Sans cette démarche, nous ne pourrons cheminer vers une égalité réelle. En même temps, cette démarche se réalise  a travers des débats et des mobilisations sociales et politiques. La réponse spectaculaire de divers acteurs sur l affaire de Lille témoigne de la vitalité de la société française et signe une certaine victoire du féminisme. En effet, la démocratie n’est pas une donnée immuable et acquise  a jamais. Au contraire, sa profondeur dépend précisément des confrontations engagées. La démocratie ne signifie pas l’absence de conflits de valeurs au sein de la société, et ces conflits de valeurs ne concernent pas que les Français et les immigrés, comme on l entend souvent dans les théorisations autour des conflits de civilisation. Il suffit de regarder les débats importants autour des lois sur le pacs, sur la laicité, etc. Il existe bel et bien une confrontation d idées, qui renvoie en dernière analyse  a des schémas et modèles sociaux divergents, fondés sur des valeurs différentes et portés par des individus et des groupes. Ces mêmes divergences existent au sein des populations immigrées et étrangères, et il serait faux de parler de celles-ci comme de communautés porteuses d’un projet social et politique commun. (…)

La question posée par le communautarisme n est donc pas une question culturelle, mais une question politique : dans quel modèle de société voulons-nous vivre ? De la même facon, les lois démocratiques peuvent aussi faire l objet d’interprétations différentes par les acteurs et être vidées de leur sens. Dans le cas du jugement de Lille, l article 180, très général, a permis une interprétation qui va dans le sens contraire de la loi démocratique. Pour faire obstacle  a de telles dérives, il faut donc, d une part, interroger le dispositif juridique sous l’angle de l égalité des sexes et de l autonomie individuelle, et d autre part questionner l interaction et la subjectivité des acteurs engagés dans ce processus.

N a-t-on a trop tendance, en France,  a estimer que les atteintes aux droits des femmes issues de culture musulmane sont une histoire de tradition et non une expression exacerbée du patriarcat ?
Chahla Beski-Chafiq. Nous vivons  a ce sujet une réalité paradoxale. D une part, une certaine vision globalisante du modèle républicain censé être universaliste empêche d interroger l existence des discriminations liées aux spécificités d ordre raciste, sexiste. D autre part, les approches anticolonialistes, pour certains, dérivent vers une omission des réalités des violences et des discriminations liées au code patriarcal justifié par le cultuel et le culturel. Ces deux approches se font écho et se renforcent, malgré leur contradiction apparente. Sur le terrain, l approche assimilationniste nie les diversités au profit d’une " supériorité culturelle ", et le culturalisme exacerbé défend, au nom du droit  a la différence, des droits différenciés. Dans les milieux intellectuels et universitaires, la tendance au " relativisme culturel " dérive aussi vers cette voie, avec des formulations sophistiqués et savantes. Ainsi, la critique de l impérialisme et du colonialisme conduit au rejet des valeurs modernes démocratiques comme n étant que les fruits de la culture occidentale qui s imposerait aux opprimés et dominés, alors qu en fait, ces valeurs, en Occident même, résultent d une évolution sociopolitique et culturelle. L invention de la culture démocratique est un acquis de l’humanité de portée universelle. Les luttes intestines dans les pays " islamiques " et ailleurs autour de la démocratie ne font que témoigner de cette réalité. Ce n est pas l’ effet du hasard si la question du statut des femmes est au centre de ces luttes.

Le développement des mouvements politico-religieux participe-t-il  a la régression que nous connaissons en France et au-del a dans le monde ? Sont-ils si puissants ?
Chahla Beski-Chafiq. Notre analyse par rapport  a ce développement incontestable serait fausse si on ne tenait pas compte du role de l ensemble des acteurs, dont les non-religieux.  A titre d exemple, l islamisme, mouvement politico-religieux qui se fonde sur l idéologisation de l islam, ne pourrait connaitre l essor actuel sans l existence des dictatures corrompues dans les pays concernés, sans le soutien qu ont apporté les pouvoirs occidentaux et d autres  a la fois  a ces dictatures et aux mouvements islamistes qu ils considéraient  a l époque de la guerre froide comme un rempart contre l ennemi rouge. Il faut aussi souligner la dominance des pensées totalitaires dans les rangs des forces de gauche,  a cette époque-l a, et leur persistance  a l heure actuelle. Ce qui explique par ailleurs des formes d alliance objective entre certaines tendances anti-impérialistes et les islamistes. Enfin, cette alliance n épargne pas les tendances politiques de droite, dont certaines accréditent le modèle communautariste pour des raisons liées  a leurs convictions néolibérales. Dans cette vision, la société est considérée comme un grand supermarché ou les clients choisissent  a la carte les valeurs et les normes sociétales. Concernant le statut des femmes, nous voyons les effets de cette vision dans la justification des modèles ou chaque famille ou individu peut choisir  a la carte les lois gérant le divorce et le mariage. Rappelons qu au Canada, le projet de donner la possibilité aux musulmans de recourir  a la loi islamiste fut repoussé grâce aux mobilisations sociales et politiques.


Vous dites que " les femmes se trouvent ainsi au centre des conflits socioculturels et politiques qui posent en dernier lieu la question de la démocratie ". Pouvez-vous expliciter cette réflexion ?
Chahla Beski-Chafiq. Je concois la démocratie comme un projet fondé sur l autonomie individuelle et collective. Le modèle idéal de la société démocratique, telle que je la comprends, renvoie  a l image d une collectivité qui se pense composée de citoyens censés être auteurs et destinataires des lois. Ce type de conception renvoie en fait  a l indissociable lien dialectique entre la démocratie et la laicité, dans le sens de la séparation entre les instances religieuses et l État. En effet, la désacralisation des lois permet une construction démocratique. Le Sujet citoyen s affirme ainsi comme le contre-modèle du membre d une communauté assujetti  a des traditions immuables puisant leur force dans les pouvoirs considérés comme sacrés. Les femmes censées être les éternelles gardiennes des traditions sont concernées au premier chef par cette différence. Ni leur statut, ni leur place, ni leur image ne sont les mêmes au sein de ces modèles. Les confrontations sociopolitiques autour de la démocratie engagent donc  a différents degrés, aussi bien dans les pays dictatoriaux que dans les sociétés démocratiques, les questions liées aux rapports entre les sexes. Le cas des populations immigrées se présente comme un miroir grossissant de cette scène conflictuelle. De la même façon, tout combat qui s engage dans ce domaine aide  a l approfondissement de la démocratie. D ou l importance que nous devons apporter  a des mouvements qui s engagent dans cette voie. Sur le terrain, il est urgent de pouvoir accompagner les acteurs pour qu ils puissent mieux agir au regard des valeurs citoyennes dans les situations qui mettent en relief la diversité culturelle et cultuelle.

 

Chahla Beski-Chafiq sociologue, écrivaine, directrice de l Agence pour le développement des relations interculturelles pour la citoyenneté (Adric). Dernier ouvrage paru : Chemins et brouillard, aux Éditions Métropolis (Genève, 2005).
 

BONNES VACANCE, OU, AU MOINS, BON ÉTÉ
A TOUS ET A TOUTES !


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