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À la fin de l’époque moderne, en grande partie à cause de la déchristianisation de la société, de lentes évolutions modifient la vie quotidienne comme l’image de la femme; après avoir été confiné dans une simple étude du regard que les hommes ont porté sur les femmes, l’historien peut désormais dresser une histoire concrète de la vie des femmes. 5.1. La promotion de la femme par le travail et l’instruction Afin de s’insérer dans la vie publique, les femmes participent, surtout au
XIXeme siècle, aux œuvres d’assistance et de charité (dames patronnesses), et d’éducation (infant schools anglaises et salles d’asiles en France). De même apparaissent dès le
XVIIIeme siècle les premières femmes journalistes: la Française Marie Jeanne l’Héritier publie au début du XVIIIeme siècle; en 1759 naît le Journal des dames, périodique écrit par et pour des femmes, qui paraît pendant près de vingt ans. Avec les changements économiques et techniques liés à la première révolution industrielle (le machinisme nécessite de moindres capacités physiques), les femmes sortent de la maison et intègrent, timidement d’abord puis de manière plus affirmée, le monde économique. En France, en 1866, 1269700femmes travaillent dans l’industrie (30p.100 de la main-d’œuvre totale), essentiellement dans les entreprises textiles et alimentaires. Au
XXeme siècle, la Première Guerre mondiale et, dans une moindre mesure, la Seconde jouent un rôle important dans cette promotion; entre 1914 et 1918, 8millions de Français (soit plus de 60p.100 des actifs) et 13millions d’Allemands sont mobilisés, ce qui permet aux femmes de démontrer leur capacité à remplacer efficacement les hommes: ouvrières dans les usines, conductrices d’autobus, chefs d’exploitation, mais aussi simples chefs de famille. À la fin de l’année 1917, les Françaises représentent 40p.100 du personnel de l’industrie et du commerce.
Mais l’inégalité professionnelle et salariale reste la norme, et les femmes perçoivent en moyenne une rémunération deux fois inférieure à celle des hommes. À la fin du
XIXeme siècle, le directeur d’une usine de papier des États-Unis explique ainsi sa politique d’embauche: «Afin d’éviter que soient négligés les enfants de nos foyers, nous n’employons aucune mère de jeunes enfants pour nos travaux, à l’exception des veuves, des femmes abandonnées par leurs maris, ou dont les maris sont dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins»; la vie de famille et l’assistance sont alors prioritaires au regard d’une quelconque émancipation féminine par le travail. Concernant le droit à l’instruction, on retrouve cette même discrimination: l’accès à l’enseignement reste limité pour les femmes. En France, il faut attendre les lois Falloux (1850) et Duruy (1867) pour que toute commune de plus de 500habitants soit tenue d’ouvrir une école primaire de filles; l’identité des enseignements entre garçons et filles n’est proclamée qu’en 1925 et les écoles et pensions, créées sur tout le territoire, ne sont pas encore mixtes. Les établissements féminins ont toujours pour objectif d’inculquer à la jeune fille un code de bonne conduite afin qu’elle puisse, plus tard, participer à la reproduction des modèles familiaux et sociaux. 5.2. Féminisme et réductions des inégalités entre les hommes et les femmes Au
XVIIeme siècle, de rares et timides discours se font entendre sur l’égalité entre hommes et femmes: en 1622 par exemple, Mme de Gournay écrit l’Égalité des hommes et des femmes. La diffusion de ces idées ne se fait pourtant guère avant les temps révolutionnaires. Ainsi, la Révolution française permet une première remise en cause de l’inégalité séculaire entre les sexes: en 1791, Olympe de Gouges revendique l’extension aux femmes de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, alors que Condorcet vient de s’écrier qu’«il n’y a entre les deux sexes aucune différence qui ne soit l’ouvrage de l’éducation» (1787). Et, d’une manière plus générale, les femmes participent largement aux mouvements révolutionnaires et sociaux: des sans-culottes féminines de 1789 aux deux figures symbolisant à la fois la libération de la femme et de l’homme, Louise Michel et Rosa Luxemburg.
Effectivement, dans la seconde moitié du
XIXeme siècle, se développe le mouvement féministe en même temps que les idéologies socialiste et marxiste. Ce mouvement s’exprime dans des journaux, tel le Englishwomans’ Journal créé dès 1859, et s’incarne dans des figures telles celles de la Française Flora Tristan, des Anglaises Harriet Martineau (1802-1876) et Olive Schreiner (1855-1920) ou de la Suisse Meta von Salis-Marschlins (1855-1929). Les féministes revendiquent l’indépendance conjugale, les mêmes droits civiques que les hommes, les mêmes droits à l’éducation et à la formation, le droit d’être maître(sse) de leur corps, l’égalité des salaires, leur participation à la vie politique et syndicale. Les femmes prennent de plus en plus souvent la parole pour affirmer leurs différences par rapport aux hommes. D’abord confinées à des genres littéraires qui gardent un caractère privé (journaux intimes ou correspondances), elles s’imposent progressivement comme grandes écrivains (George Sand ou Colette), rédigeant parfois des ouvrages profondément engagés, telles Virginia Woolf (A Room of One’s Own, 1929), Simone de Beauvoir (le Deuxième Sexe, 1949) ou Betty Friedan (The Feminine Mystique, 1963).
Le développement du thème de la «garçonne» au cours des Années folles rend compte de cette émancipation. Cette nouvelle femme aux mœurs et à l’allure viriles est décrite par Victor Margueritte en 1922 dans son roman du même nom; le succès de la publication est immédiat, même si l’auteur se voit radié de la Légion d’honneur l’année suivante —signe d’une résistance masculine quasi unanime. De même, la figure de Nora, héroïne de la Maison de poupée du dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1879), est tout à fait emblématique de ces changements: la pièce se termine par le départ de Nora du foyer conjugal auquel sa condition de femme l’a amarrée, mais que les luttes féministes du
XIXeme siècle lui permettent de quitter en affirmant son refus du pouvoir masculin. En claquant la porte du domicile conjugal, Nora entre dans le XXeme
siècle. 5.3. Droits de l’homme et droit des femmes La femme reste très longtemps l’épouse ou la mère d’un citoyen avant d’accéder elle-même à ce statut. Le législateur du
XIXeme siècle protège dorénavant les femmes dans le cadre de la famille, mais ne leur octroie aucun droit politique. Révélateur des idées de la majorité des législateurs européens, l’article213 du Code civil français (1804) proclame que «le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari». Autre signe de la phallocratie, au
XIXeme siècle dans le Code pénal français, l’adultère de la femme est en général passible de prison, alors que celui de l’homme est sanctionné par une amende. À partir de 1870 en Angleterre (1907 en France), de nouvelles dispositions législatives permettent à la femme de disposer de son salaire. En France, depuis 1920, elle peut adhérer à un syndicat sans l’autorisation de son époux et, depuis 1927, conserver sa nationalité en cas de mariage avec un étranger. Plus émancipatrice, la loi de février 1938 lui donne le droit de passer un contrat, ouvrir un compte bancaire et se présenter à un examen sans l’autorisation de son époux. En définitive, l’entrée dans l’ère démocratique à partir du
XIXeme siècle permet plus de libertés, même si celles-ci sont toujours plus avantageuses pour la gent masculine. Les femmes ne bénéficient pas des mêmes droits civiques que les hommes; alors que le suffrage universel masculin est déclaré en 1848 en France, elles n’obtiennent le droit de vote qu’en 1920 aux États-Unis, 1928 en Angleterre (les suffragettes se battent pourtant ouvertement depuis le début du siècle), 1944 en France et 1971 en Suisse.
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