Si jamais on le lui disait,
je suis sûre qu’elle se mettrait à rire, sans savoir si ce n’est pas pour se
moquer d’elle. En effet pour elle c’est naturel. Habituée dès son plus jeune
âge à travailler dur sur l’exploitation familiale elle n’a jamais connu
d’autre vie.
Cela fait maintenant plus
de 35 ans qu’elle se bat envers et contre tout pour permettre à son fils
handicapé de vivre le mieux du monde.
Elle a bien sûr élevé ses
deux autres enfants avec tout l’amour et l’attention auxquels ils avaient
droit eux aussi.
Elle aime la vie. Elle aime
les bons moments passés en famille, ou avec les amis. Pour elle la vie est
faite de joies et de peines qu’elle accepte avec sagesse.
Elle continue à travailler
sur l’exploitation familiale. Bien sûr ils ont du se reconvertir lorsque ils
ont compris que Franck ne serait jamais un enfant comme les autres. Ils ont
choisi cette reconversion pour être plus disponible pour lui, ils ont aménagé
la grande cour en un immense parking goudronné pour qu’il puisse se déplacer
sur son fauteuil roulant. Ils ont fait construire une maison entièrement
équipée pour lui permettre une vie confortable, de son fauteuil roulant à la
salle de bains, de son lit au séjour.
Si elle râle quelquefois
c’est simplement qu’elle ne trouve pas les fonds nécessaires pour acheter une
voiture aménagée lui permettant de mettre le fauteuil roulant électrique à
l’arrière. Alors pour aller faire ses courses elle est obligée de prendre le
fauteuil pliant car elle ne peut pas laisser Franck seul à la maison.
Avez-vous essayé de pousser un chariot au supermarché tout en tirant un
fauteuil roulant ou vice-versa. Même avec une grande habitude et une dextérité
hors pair ce n’est pas facile. Moi aussi à sa place je râlerai.
Elle l’emmène dans des
réunions de groupes pour qu’il s’habitue à la vie en communauté. Elle l’emmène
au cinéma, à la bibliothèque, elle l’emmène partout où il peut être en contact
avec d’autres handicapés. Sa hantise : que deviendra-t-il quand ils ne seront
plus là ? Même si elle ne le dit pas, c’est pour cela qu’elle l’habitue à
avoir une vie de communauté, pour que si jamais un jour il se retrouve dans
une institution il soit moins malheureux. Une assistante de vie vient
plusieurs fois par semaine, elle apprend à lire et à écrire à Franck.
Elle regrette d’avoir
écouté les mauvais conseils quand elle était plus jeune et inexpérimentée.
Elle aurait dû se battre pour qu’il reste à l’école. Elle savait qu’il pouvait
apprendre. Mais eux n’avaient pas compris.
Elle travaille toujours
avec son fils aîné qui a repris l’exploitation. Elle fait toujours son ménage
et elle s’occupe de son beau père qui habite un pavillon juste de l’autre côté
de la rue. Elle lui fait son ménage également chaque semaine, elle lui emmène
ses repas chaque jour. Il ne peut plus faire grand-chose car il est très âgé
et depuis la mort de sa femme il se sent un peu seul. Et elle l’aime son beau
père. On ne ressent pas quand on l’écoute que ce soit une charge pour elle,
elle en prend soin gentiment.
De sa bouche on n’entend
pas de critique, pas de regret, pas de remord Elle n’est pas aigrie par la
vie, juste inquiète pour l’avenir. Elle ne se plaint pas de l’injustice qui a
fait que son enfant mort né, est été réanimé en gardant d’énormes séquelles.
Elle ne se plaint pas d’avoir eu une vie si restreinte.
Alors même si on ne parle
jamais d’elles, pour une fois en cette journée de la femme du 8 mars 2007
rendons leur hommage et gardons espoir pour le futur. Il y a des millions de
Mireille de part le monde.
Catherine Crochot
France